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Appel à contribution > ArgumentaireAssocier les langues vivantes régionales (LVR) et le français enseigné comme langue étrangère (FLE) dans une réflexion commune n’est pas si paradoxal que cela. Les contextes d’enseignement peuvent être certes assez distincts : pour les LVR, il s’agit d’enseigner une langue historique présente dans l’environnement, et qui peut être langue familiale ou à tout le moins présentant une valeur culturelle, affective et identitaire. Pour le FLE, la langue enseignée n’est présente ni dans la famille (sauf contextes spécifiques dans certains pays francophones) ni, très souvent, dans l’environnement. Le choix d’apprentissage relève alors de raisons de nature éducative, culturelle et économique. L’enseignement des LVR et celle du FLE ont suivi, à l’évidence, des voies différentes. La situation actuelle de l’enseignement des LVR, dans leur diversité, est le produit d’une histoire politique qui a été conduite pour instaurer une langue nationale unique. L’enseignement vise leur revitalisation et leur transmission intergénérationnelle. Le français comme langue étrangère, longtemps langue la plus enseignée dans le monde, n’a plus cette primauté mais on soutient sa réception à l’étranger en tant qu’instrument d’une politique internationale d’influence. De ce fait, ces deux didactiques ne sont pas centrées sur les mêmes problématiques que, par ailleurs, elles n’abordent pas nécessairement avec la même perspective : par exemple, l’éducation (inter)culturelle ne concerne pas les mêmes formes de l’altérité et les mêmes démarches de formation à celle-ci dans ces deux espaces éducatifs. Ces différences, et bien d’autres, n’ont pas contribué à mettre ces domaines en relation. Pourtant, ce colloque entend explorer les relations entre ces deux enseignements de langues vivantes additionnelles, ceci dans la perspective de l’éducation plurilingue consistant à créer des transversalités entre les enseignements et les enseignants de langue, pour « promouvoir un enseignement des langues les faisant interagir entre elles », selon la formulation du Conseil de l’Europe (2022, p.7) A l’évidence, l’enseignement apprentissage des LVR et du FLE a, au moins, un point commun, à savoir la place pédagogique à donner aux différentes langues en contact : la LVR et le français dans le cadre de l’enseignement bilingue organisé par l’Éducation nationale en France ; le français et une langue nationale (ou familiale) différente du français dans le cadre de l’enseignement du FLE. Ce problème est certes commun à l’enseignement de toute langue additionnelle. Mais, dans le cas des LVR, il présente des apparentements avec l’enseignement du français aux apprenants nouveaux arrivants ou issus de la migration. Il s’agit d’enseigner, en tenant compte de la situation d’immersion, la langue du nouveau contexte, qui va entrer dans le répertoire linguistique familial. Cet apprentissage répond à des enjeux sociaux et scolaires importants, dans des contextes sociolinguistiques de langue seconde (Mendonça Dias, 2021), d’où en France sa dénomination courante de FLS (français langue seconde, Cuq). Comme ces situations présentent un certain caractère d’urgence (faire acquérir la langue de scolarisation pour permettre la poursuite du cursus scolaire), cela a conduit à élaborer des réponses didactiques dans lesquelles l’utilisation de la langue première des apprenants est considérée comme une ressource pour l’apprentissage du français. De nombreuses recherches ont exploré cette voie et elles se poursuivent, circonscrivant ainsi un espace de réflexion qui mérite, à lui seul, un colloque et qui, pour cette seule raison, ne sera pas central dans la présente rencontre. L’enseignement des LVR peut être organisé sur le même modèle curriculaire que celui des autres langues vivantes. Et dans ce cas la perception de la fonction de la langue première est probablement comparable à celle de l’enseignement du FLE, qui sera décrite plus bas. Mais il sera intéressant de traiter les LVR dans une autre possibilité curriculaire qui lui est singulière depuis les années 1980, et désormais fermement encadrée par quatre circulaires nationales depuis les années 2000. Les LVR sont en effet langues d’enseignement, à parité du français, de l’ensemble des matières dispensées dans les programmes nationaux, de la maternelle à la fin du primaire dans le cadre de l’enseignement bilingue. La quotité importante de LVR dans l’enseignement primaire (11 heures semaine dans le cadre de la parité) se réduit au collège à un enseignement de LVR « comme mention » et à une seule discipline (histoire-géographie, mathématiques, etc.) où la LVR est traitée « en usage » (Gajo, 2020). Notons que la dernière circulaire du Ministère de l’Éducation nationale (14 décembre 2021) permet dans le cadre du bilinguisme précoce français-LVR, et pour la première fois, la méthodologie immersive. Ce qui permet au texte réglementaire de repréciser que « Dans toutes les formes qu'elle prend, l'étude d'une langue vivante régionale amène les élèves à opérer des rapprochements avec la langue française et participe ainsi à une meilleure maîtrise de celle-ci. ». Il est rappelé en outre que l’enseignement bilingue français-LVR a pour finalité de « conforter l'apprentissage du français et préparer les élèves à l'apprentissage d'autres langues. » Parallèlement se lit la prégnance d’une idéologie, ou d’une tradition classique, d’un enseignement tubulaire, étanche entre matières comme entre langues : il ne s’agit pas de mélanger, de confondre. De fait, l’enseignement bilingue, accepté tardivement et parfois comme à reculons par les autorités éducatives, insiste systématiquement sur le recours au français dans le dispositif immersif et sur l’apport de la LVR à l’apprentissage de celui-ci. Rien cependant n’est explicité sur ces rapports entre les langues en termes pédagogiques, didactiques, linguistiques, et culturel. Ce colloque a donc pour objet de recueillir des recherches et des témoignages sur ces relations. Concernant l’enseignement du FLE, une autre forme de relation avec la langue première s’est développée et elle tend à son exclusion. La première raison en a été d’attirer l’attention sur le risque que la classe se fasse trop largement en langue première, limitant ainsi l’exposition à la langue cible – le français. Souci pouvant être attribué, entre autres, à l’insuffisante formation linguistique des enseignants : ainsi, dans un pays d’Asie centrale, des tests ont montré récemment que le niveau de français le plus élevé de 50% des enseignants était le niveau A2. Notions qu’un moindre recours à la langue première a été la norme dans le cadre des méthodologies audiovisuelles (par exemple : 1962, Voix et Images de France, Crédif), où elle il avait sa raison d’être, puisque l’accent y était mis sur la communication orale et que les supports d’enseignement étaient des enregistrements en français, ce qui constituait une grande nouveauté technique. Cette mise entre parenthèses de la langue première a été étendue aux apprenants, par suite de l’obligation qui leur est faite de « parler français ». Elle est ainsi devenue ensuite un tabou circulant de la doxa didactique. Dans certains contextes, des enseignants de FLE se défendent d’utiliser leur langue première et d’en permettre l’utilisation en classe. Néanmoins, la langue première revient spontanément pour la communication sociale en classe pour la discipline, les consignes de travail, les remarques d’évaluation formative… Il n’en reste pas moins que, dans certains contextes, la langue première n’est pas toujours sollicitée pour des activités réflexives sur le fonctionnement communicatif et formel de langue cible. On n’écarte plus désormais le principe théorique qui consiste à prendre appui sur les langues du répertoire des apprenants, dont la langue première, pour mettre leur connaissance au service de nouveaux apprentissages langagiers. Cette perspective a été revisitée, entre autres, dans le cadre de l’éducation plurilingue. Une de ses finalités est en effet de légitimer les langues connues des apprenants et de les utiliser pour l’acquisition d’autres langues (Candelier, Manno, Escudé, 2023). Ces hypothèses se heurtent à des conceptions encore bien établies qui considèrent qu’il ne convient pas de « mélanger » les langues et que le bi-plurilinguisme est potentiellement dangereux (Tabouret-Keller, 2011). Cette conception négative du bilinguisme a évolué du tout au tout : une épistémologie de cette évolution des textes et des mentalités – pour quelles raisons politiques, sociales ? corroborées suite à quelles évaluations ? – sera l’un des axes de ce colloque. Mais nombre d’enseignants considèrent encore facilement que la langue première est à mettre entre parenthèses comme élément qui, potentiellement, est de nature à perturber les apprentissages dans l’autre langue. Or, les apprenants considèrent la langue première comme une bouée d’apprentissage (Moore, 1996). Ainsi, pour les apprenants allophones qui apprennent le français comme langue seconde dans le cadre des Unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A), on peut être amené à solliciter assez facilement la ou les langues de la famille dans l’apprentissage. Et, dans certains cas encore isolés, cela commence à se faire dans les cours de français. Par exemple pour les cours de français en France, le BOEN (n° 31 du 30 juillet 2020), qui spécifie les objectifs pour le cycle 4, souligne que « tant sur le plan culturel que sur le plan linguistique, le professeur de français veille tout particulièrement à ménager des rapprochements avec les langues et cultures de l’Antiquité » (p. 12). Ce rapprochement, limité traditionnellement au latin et au grec, n’inclut pas, pour l’heure, d’autres langues de manière aussi volontaire. Le présent colloque, qui est le 10ème coorganisé par le GreC, se propose de réunir des réflexions, des recherches et des comptes rendus d’expérience autour des rôles que joue ou pourrait jouer la langue première dans l’acquisition de la langue cible dans ces contextes différents et apparentés. Ce recours réside dans la mise en regard des systèmes linguistiques (tant au niveau lexical, grammatical dans son ensemble, que discursif, etc…) par l’enseignant ou par les verbalisations métalinguistique et métacognitives des apprenants. Une autre forme d’interrelation concerne les méthodologies d’enseignement telles qu’utilisées pour la langue cible et pour la langue première. Il conviendra aussi d’envisager aussi un rôle effectif des LVR et du FLE dans les apprentissages (bilingues) des matières scolaires dans les dispositifs bilingues – paritaires et immersifs - pour les LVR) et EMILE (enseignement d’une matière intégré à une langue étrangère) pour le FLE et les LVR. Indications bibliographiques Beacco, J. C. & Fouillet, R. (dir.) (2023). Perspectives néo comparatistes/contrastives dans l’enseignement du français aux allophones, L’information grammaticale 177. Cadet, L., Aifi, N., Chischportich, J., Corny, L., Fenoglio, P. Masson, F. (2022). Plurilinguisme des élèves en classe ordinaire dans le premier degré: que trouve-t-on dans la « boite à outils » des enseignants ? Repères, 165, 21-38. Candelier, M., Manno, G., Escudé, P. (2023). La Didactique intégrée des langues. Apprendre une langue avec d’autres langues ? Site de l’ADEB : http://www.adeb-asso.org/publications/brochure-didactique-integree-des-langues/ Castellotti, V. (2001). La langue maternelle en classe de langue étrangère. Paris : CLE international. Castellotti, V. & Moore, D. (2002). Représentations sociales des langues et enseignements. Division des Politiques Linguistiques, Strasbourg : Conseil de l’Europe. https://rm.coe.int/representations-sociales-des-langues-et-enseignements/168087458d Conseil de l’Europe (2022). Recommandation CM/Rec(2022)1 du Comité des Ministres aux États membres sur l’importance de l’éducation plurilingue et interculturelle pour une culture de la démocratie. Strasbourg : Conseil de l’Europe. https://rm.coe.int/0900001680a563c9 Coste D., Moore D. & Zarate G. (2009). Compétence plurilingue et pluriculturelle (version révisée). Strasbourg : Division des politiques linguistiques. Cuq J.-P. (1991). Le Français Langue Seconde. Origines d’une notion et implications didactiques, Hachette. Escudé, P. & Derivry, M. (2022). Re-conceptualiser le curriculum des langues et en langues.DansBeacco, J.-C., Bertrand, O., Herreras, J. C. & Tremblay, C. (dir.). La gouvernance linguistique des universités et établissements d’enseignement supérieur.Palaiseau : Editions de l’Ecole polytechnique, 237-254. Gajo, L. (2020). Intégrer et alterner : le plurilinguisme au service des savoirs. In Grivon, L. (éd.), Education aux langues et par les langues : contextes, représentations, théories, modèles. Emarèse : Centre d’études Abbé Trèves, 119-131. Kakoyianni-Doa, F., Loizidou, D., & Monville-Burston, M. (2023). Complétives en que, complétives réduites à l’infinitif. Dans Kakoyianni-Doa F & Stratilaki S. (2024). Discours et représentations grammaticales du français langue étrangère dans les pratiques pédagogiques et les ouvrages didactiques, Berne : Peter Lang. Mendonça Dias, C. (2021). La didactique du français langue seconde : entre idéologies éducatives, héritages didactiques et réalités d’apprentissage. Dans Armagnague M., Cossée C., Mendonça Dias Rigoni I., Tersigni S. (coord) (2021). Enfants migrants à l’école. Le bord de l’eau, 151-165 Moore, D. (1996). Bouées transcodiques en situation immersive ou comment interagir avec deux langues quand on apprend une langue étrangère à l’école, Acquisition et interaction en langue étrangère [En ligne], 7 | 1996. Tabouret-Keller, A. (2011). Le Bilinguisme en procès. Limoges : Lambert-Lucas. Weber, C. (2004). La culture grammaticale ordinaire : étude des verbalisations métagrammaticales et métacognitives d’apprenants natifs. Langages, 154, 101-112. |